Trois ânes, Sicile
ils semblaient être là comme une parabole,
un peu après gangi, qui heurtait le sommet
en nuage de pierre, eux formaient un retable
derrière leur endos, muets et tout à fait
immobiles, ici les routes sinueuses
qui grimpaient avec nous à travers monts et vaux,
quelques éboulements, et les coulées neigeuses
des moutons qui glissaient sur la route en troupeaux,
tout avait disparu, nature morte aux ânes,
presque à portée de main, ces houppes de rideau
pendant à chaque queue, leur tenue paysanne,
leurs dos pliant sous un invisible fardeau,
et puis ce tendre et blanc museau
qu'ils semblaient tout juste avoir plongé dans un seau
de farine, la farine des fables.
on héla, cria, hua - ils demeuraient là,
préoccupés de rien que de leur état d'âne.
on eut beau charmer, tenter - ils ne bougeaient pas,
comme enracinés, croissant hors du limon,
comme si de tous leurs sens ils prenaient part
à quelque chose, guettaient-ils bethléem ?
se trouvait-il encore un neuvième ou un quart
d'entre eux sur la route qui mène à canaan,
chassaient-ils encore des mouches de carthage,
ou d'égypte ? enfin revoyaient-ils à l'instant
comme si c'était hier, foulant leurs pâturages,
les hordes de guerriers, chevaux et fantassins,
des arabes, normands, et autres gibelins,