Les deux décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale sont celles d'une
formidable croissance de l'industrie sucrière guadeloupéenne. Entraînée par une
demande mondiale de sucre en augmentation continue, portée par un effort
pratiquement ininterrompu d'investissements et d'amélioration de la productivité,
soutenue par une politique généreuse de financement public, la production est
multipliée par quatre en vingt ans ; le maximum historique absolu est atteint
en 1965 avec 185 000 tonnes. C'est une époque de grande prospérité pour les
usines, d'où, nous inspirant de la célèbre expression de Jean Fourastié, le titre de
«Vingt glorieuses» que nous avons donné à ce quatrième volume.
Malheureusement, les effets de cette prospérité sont très loin d'être
équitablement répartis entre tous les acteurs de la croissance. Pour le
prolétariat sucrier, ouvriers industriels, petits planteurs, colons partiaires,
journaliers salariés sur les domaines fonciers des usines, ces temps sont ceux
d'une extrême dureté de leurs conditions de travail et de vie, faites de tâches
exténuantes et très insuffisamment rémunérées et d'une existence matérielle
insupportable. La départementalisation, dont la population attendait qu'elle lui
apporte une amélioration rapide de sa situation, est appliquée tardivement,
lentement et incomplètement. Au mieux, on passe de la misère à la pauvreté.
Cette période est celle d'une grande violence sociale, dont l'épisode le plus
dramatique est le massacre du 14 février 1952 à Moule, quand les CRS tirent
sur la population. «Glorieuses», ces vingt années ne le sont pas pour tout le
monde en Guadeloupe !