Les vins de Bordeaux à l'épreuve de la seconde guerre mondiale
1938 - 1950
Est-il nécessaire de souligner l'importance déterminante du vin et du vignoble bordelais dans le destin économique de la Gironde ? Par les soins qu'ils nécessitent, par les activités qu'ils favorisent, par les débouchés qu'ils créent, peut-être même par le réconfort ou le plaisir qu'ils procurent, les vins de Bordeaux mettent en mouvement l'ensemble d'un territoire, en même temps qu'ils marquent de leur empreinte les pratiques sociales, culturelles, voire politiques de toute une société. Rares sont les Girondins qui, d'une manière ou d'une autre, n'y sont pas attachés... En 1941, le préfet François Pierre-Alype n'avoue-t-il pas, dans l'un de ses rapports, que « le vin rouge est le beefsteak liquide » de la population ?
La guerre et l'occupation, qui surviennent après la grave crise viticole de l'Entre-deux-guerres, ne peuvent avoir que des effets immédiats et redoutables. Les restrictions, les réquisitions, les destructions, voire les spoliations, sont d'authentiques épreuves pour les acteurs et les métiers de la vigne et du vin de Bordeaux, qui n'ont d'autres choix que de s'y adapter. Comment se sont-ils positionnés, face à l'instauration du régime du Vichy, mais aussi face à la construction d'une France et d'une Europe allemandes, marquées par une redistribution des forces et une recomposition des débouchés ? Ces mêmes acteurs, les négociants au premier chef, se situent-ils dans une continuité de travail, de marchés et d'hommes avec les marchés allemands ou se mettent-ils au service du Reich, alors que l'Allemagne ne faisait pas partie des débouchés traditionnels ? Voilà, pour l'auteur, des questionnements essentiels.
Les archives de l'épuration, soigneusement croisées avec des fonds datés de la Seconde Guerre mondiale, émanant à la fois d'entreprises (maisons de négoce, châteaux, banques), d'organismes professionnels (syndicats, chambres de commerce), d'administrations (ministères, administration préfectorale) et de services allemands, permettent à Sébastien Durand d'analyser les profondes mutations subies par la filière vitivinicole girondine sous l'Occupation, mais également de s'interroger sur le comportement et les stratégies des hommes du vin, autrement dit sur leurs réelles marges de manoeuvre face aux occupants.