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Voici sans doute la dernière des grandes correspondances de Freud. Eugen Bleuler – l’inventeur du concept de schizophrénie, et d’autisme dans un autre sens que celui d’aujourd’hui – est le premier psychiatre universitaire à prendre au sérieux les thèses freudiennes, en les important dans la théorie et au Burghölzli, clinique psychiatrique de Zurich, qu’il dirige (où se forment Carl G. Jung, Max Eitingon, Karl Abraham, Abraham Brill, Ludwig Binswanger). Là, ensemble, chaque matin, les médecins analysent avec enthousiasme leurs rêves de la nuit – et, au vu de ce qu’ils y découvrent, ils interdisent à leurs épouses d’en faire autant…
Bleuler fait une "psychanalyse" par lettres, avec Freud, et non sans résistance : il croit à l’expérimentation, veut des preuves, a du mal avec ses rêves, n’aime guère la sexualité, surtout inconsciente. Rien ne le prédispose à suivre la découverte freudienne, sinon son honnêteté intellectuelle et sa passion de soignant.
Freud, de son côté, souhaite introduire la psychanalyse dans le champ de la psychiatrie et, parallèlement, la sortir de Vienne : Zurich deviendra le centre mondial de la psychanalyse, à la fois universitaire et clinique, jusqu’à la rupture avec Jung en 1912-1913.
À l’arrière-plan de ces lettres et de leurs visées divergentes, se dessine l’histoire conflictuelle du mouvement analytique – création de l’Association psychanalytique internationale, dissension avec Jung, séparation de Freud et de l’école dite de Zurich.
L’échange dure trente-trois ans, et il est plus étroit et vif que ce que l’on savait, entre deux hommes droits, passionnés, qui ont de fortes divergences. Au cœur du désaccord, le rapport ambigu que la psychiatrie entretient déjà avec l’analyse.
Tina Joos-Bleuler rappelle en avant-propos les difficultés qui ont retardé cette publication. Michael Schröter, spécialiste de la correspondance de Freud, étudie les rapports de Bleuler avec la psychanalyse. Bernhard Küchenhoff, directeur adjoint de la clinique du Burghölzli, envisage les conceptions divergentes de la psychose par Freud et par Bleuler. Thomas Lepoutre, chercheur associé au Centre de recherches psychanalyse, médecine et société, et François Villa, membre de l’Association psychanalytique de France, professeur des universités, présentent cette correspondance comme un écho anticipé du divorce entre la psychiatrie française actuelle et la psychanalyse.