Le 30 septembre 1937, Antonin Artaud, expulsé d'Irlande, est «débarqué» au
Havre. Quelques jours plus tard, il est transféré à l'asile départemental d'aliénés
de Seine-Maritime de Sotteville-lès-Rouen, dans le quartier hommes
de Quatre-Mares. Les lettres qu'il rédige alors décrivent avec acuité le vécu
d'angoisse et de désespoir d'un aliéné, masquant son identité sous des noms
d'emprunt pour manifester toutes ses récriminations avec une énergie hors du
commun qui le caractérisera tout au long de sa vie. Il est ensuite placé à Paris, à
l'hôpital Sainte-Anne, le 1er avril 1938 ; il y demeurera jusqu'au 27 février 1939.
Les lettres présentées confirment l'état pathologique d'Artaud, son obsession :
sortir de ces lieux. Malgré ses conditions de vie et d'enfermement, il ne cesse
d'écrire, de dessiner, et réclame sans cesse du papier.
Après Sainte-Anne, Antonin Artaud est interné à l'asile de Ville-Évrard, où
il demeurera jusqu'au 22 janvier 1943. La quantité et la qualité des documents
qui sont présentés sont d'une imposante richesse sur l'état psychologique et
physique d'Artaud, avec toujours cet impérieux besoin de s'exprimer malgré la
maladie, les privations. Compte tenu de la misère régnant alors dans les asiles,
qualifiée d'«extermination douce», et du danger que courait l'artiste, sa famille
et ses amis vont réussir à obtenir un nouveau transfert pour l'asile de Paraire, à
Rodez, en février 1943.
Dans ce volume sont transcrites les lettres, dans leur graphie originale,
qu'Artaud a rédigées entre 1937 et 1943. Nombreuses sont celles qui furent
retenues par l'administration. À Roger Blin ou à André Gide, à Balthus ou au
chancelier Hitler, Artaud lance ses invectives, ses suppliques et ses cris de
souffrance. Ces écrits témoignent de la puissance d'une pensée fulgurante,
météorique, prophétique, géniale dans ses possibilités d'expression et de
création, un réservoir d'énergie inépuisable qui va oeuvrer toute sa vie, pour le
conduire dans l'au-delà des rivages de la raison.