Au début de 1901, un compositeur célèbre prend sous son
aile un jeune marin musicien inconnu. Le compositeur,
c'est Henri Duparc. Encore dans la force de l'âge - cinquante-trois
ans -, il vit retiré, ayant abandonné la création musicale, lui
que quelques mélodies ont placé d'emblée au pinacle. Le marin,
c'est un jeune officier, un enseigne d'à peine plus de vingt ans,
baigné dès sa plus tendre enfance dans un milieu musical, qui
hésite encore entre la carrière militaire et le métier de musicien.
Il se nomme Jean Cras. Duparc décèle ses dons, ses manques,
comprend ce garçon, que la mort du père a sans doute privé
d'un conseiller. Il sait le dissuader d'abandonner la Marine, et il
a raison : Cras devient un brillant officier. Sans la musique, Cras
eût été le même grand marin ; l'inverse n'est pas vrai : ses oeuvres
sont nourries de l'expérience du navigateur, de l'homme qui voit
l'horizon sans cesse indéfini. Le devinant, le «maître bien-aimé»
se fait mentor, guidant les travaux de cet unique disciple, qu'il
baptise dans une de ses lettres «le fils de mon âme». Saisissant la
nature sensible de Cras, Duparc ne se contente pas de précieux
avis musicaux, mais éclaire le plus souvent son disciple sur ce
que doit être à ses yeux un véritable artiste.