« J'ai peint comme d'autres se font enculer. Bien des fois ça ne sert à rien. »
(G. Chaissac à J. Paulhan, 25 avril 1947)
C'est grâce au peintre et critique André Lhote que Jean Paulhan (1884-1968), découvre le « peintre rustique moderne » : Gaston Chaissac (1910-1964), qui, « cordonnier in partibus », vit isolé dans le bocage vendéen : ce « Klee spontané [...] écrit des poèmes sans orthographe parfois assez curieux. Je lui conseille, ajoute Lhote, de t'en adresser quelques-uns. » Par l'intermédiaire de Jeanne Kosnick-Kloss - compagne du peintre Otto Freundlich qui l'initia à la peinture dans les années trente - Chaissac transmet début 1944 un conte à Jean Paulhan, qui en parle à son ami, le peintre Jean Dubuffet.
Entre ces trois hommes va s'établir un jeu complexe de circulation de lettres et de complicité de projets : comme, par exemple, en 1947, l'exposition Chaissac à la galerie l'Arc-en-Ciel à Paris, imaginée par Paulhan et organisée par Dubuffet, ou la sortie d'Hippobosque au bocage, recueil d'écrits de Chaissac, réunis par Dubuffet entre 1946 et 1948 et publiés en 1951 par Paulhan, qui les juge « très épatants »...
Si Chaissac noue une forte amitié avec Dubuffet (« Ca doit emmerder les critiques quand on ne peint plus pareille »), ses relations avec Paulhan demeurent uniquement épistolaires. Devenu son éditeur principal, celui-ci le publie dans Les Cahiers de la Pléiade en 1948, puis dans La NRF renaissante.
Non seulement Jean Paulhan a donné à Gaston Chaissac, qui se voulait plus écrivain qu'un artiste, une certaine légitimité en littérature, mais, tout comme Raymond Queneau, il a aimé le défendre. Ainsi, il conseille à André Gide : « Ah, ce que vous devriez lire dans les Cahiers [de la Pléiade], ce n'est pas les célèbres, mais les jeunes, Solier, Dubuffet, Mandiargues, Boissonnas, Chaissac et les autres. » Et à René Etiemble, il confie : « Je dois avouer que les lettres de Chaissac m'enchantent. »
Ce volume contient 125 lettres « enchantantes » de Chaissac (dont l'orthographe a été respectée) à Paulhan. Et peu importe qu'il n'ait été retrouvé que 10 lettres de son correspondant, car Chaissac, sentant « plusieurs individus grouiller » en lui s'y dévoile d'emblée : « peut être ignorez-vous qu'un de mes buts est d'exciter, de stimuler des littérateurs et des artistes mes contemporains à produire, à créer et j'y gagne aussi car de leur écrire des lettres m'apprend à écrire. » (7 novembre 1946).