Lettres à la mère
C'est à mon tour de me souvenir. Je suis la gardienne du passé. À notre insu, une transfusion secrète s'est opérée. Une transmission d'informations sans parole, rayonnant d'un centre unique. Un héritage de souvenirs qui a commencé dans ta matrice, diffusant un flot continu de molécules minuscules à travers le placenta. L'écho des hurlements qui ont résonné dans ton circuit sanguin s'est gravé dans mes réseaux de neurones ; les ongles écorchés, cherchant une issue, ont laissé leur marque sur les murs de mes organes en formation ; et une agonie indicible et sans fin a pris possession à jamais d'un espace dans mes cellules, s'infiltrant comme un venin, emplissant chaque ouverture.
Je suis ton témoin. Je serai ta bouche pour parler à ta place quand tu ne seras plus. Je ne connais pas les mots. Mais je suis ton seul témoin. Et même sans noms et sans photos, sans avoir jamais vu les visages, les lieux, je connais la fin. De ce qui fut et qui n'est plus.