«2 décembre au soir [1915]
Mon amour dans l'horreur mystérieuse métallique muette mais non silencieuse
à cause des bruits épouvantables des engins qui sifflent geignent éclatent
formidablement notre amour est la seule étoile, un ange parfumé qui flotte plus
haut que la fumée noire ou jaune des bombes qui explosent.
Écris-moi de l'amour, sois-moi ma panthère pour me remettre dans la vie de notre
cher amour.
Je pense à ton corps exquis, divinement toisonné, et je prends mille fois ta bouche
et ta langue.»
Le 2 janvier 1915, Guillaume Apollinaire prend le train en gare de Nice
après une permission de quarante-huit heures. Dans son compartiment,
il rencontre une jeune femme, Madeleine Pagès, qui doit embarquer
à Marseille. Les deux voyageurs se plaisent, parlent de poésie, échangent
leurs adresses. Trois mois plus tard, Apollinaire envoie du front
de Champagne sa première carte postale à Mlle Pagès. Très vite, leurs
lettres prennent un tour badin puis fort tendre. Après les aveux, se
développe une relation épistolaire d'une liberté inouïe, fondée sur le
mythe du coup de foudre et de l'amour idéal. Comblant toutes les distances,
unissant la grave dignité du combattant à la sensualité lyrique
de l'amoureux, les lettres d'Apollinaire défendent sans trêve la poésie,
la beauté et la vie.