Avocat, écrivain et amateur d'art, Edmond Picard héberge en 1883 dans
son luxueux hôtel bruxellois le romancier français Léon Cladel, témoin
comme lui au mariage de Camille Lemonnier. Ce séjour, le premier des
quatre que l'auteur d'Ompdrailles fera en Belgique, marque le début d'une
amitié qui s'étendra bientôt aux deux familles. L'écrivain méridional sera
aussi l'un des modèles dont Picard se réclamera tout au long de la campagne
qu'il mènera dans sa revue, L'Art moderne, en faveur d'un art social, qui soit
aussi un art national, c'est-à-dire révélateur d'une identité «belge», septentrionale.
Car l'oeuvre de Cladel, que Barbey d'Aurevilly avait surnommé «le
rural écarlate», exalte, dans un langage patiemment ciselé, à la fois le
Quercy et la Commune de Paris, l'authenticité du Sud et l'héroïsme de la
vie ouvrière. La rencontre de Cladel et de Picard intervient, de plus, à un
moment crucial de la trajectoire de l'avocat : celui-ci se voudrait, au début
des années 1880, en même temps le chef de file incontesté du jeune mouvement
littéraire belge et, par-delà l'opposition stérile du «parti clérical» et
des libéraux doctrinaires, le champion d'un nouveau courant progressiste.
Picard échoue toutefois aux élections de juin 1884 et n'obtient pas à Paris,
en dépit du soutien que lui apporte Cladel auprès des critiques et des éditeurs,
la reconnaissance littéraire que le milieu intellectuel belge tarde à lui
accorder. Chaleureuse et sans concession, à l'image de ces deux hommes
également intraitables et colériques, la correspondance Picard-Cladel nous
ouvre les coulisses des grands débats politiques et esthétiques qui agitent,
dans les années 1880, les mondes littéraires belge et français.