À l'est du Rhin, au nord des Alpes et en deçà du Danube, s'étendait le vaste territoire que les Anciens appelaient barbaricum. Les barbares, ses occupants, formaient une mosaïque de peuples illettrés et païens, dont les Grecs ne comprenaient pas la langue et dont ils moquaient le bredouillement - «bar-bar-bar»...
Toute l'histoire de leurs sociétés, de l'Antiquité au Moyen Âge, devait être marquée du même mépris que celui dont les gratifièrent les Anciens: ces peuples barbares allaient incarner le contre-modèle du monde «civilisé». Confrontés à la difficulté d'exploiter des sources partiales et issues d'autres cultures, certains historiens hésitèrent à les considérer comme des ethnies séparées - ce qui s'apparentait parfois à une forme de ségrégation - ou bien au contraire comme un bloc d'un seul tenant.
Karol Modzelewski a résolu d'englober dans un même horizon comparatif des sources parfois très éloignées dans le temps et dans l'espace. Cette approche anthropologique permet d'établir les représentations communes des anciens Germains et Slaves, qui ne distinguaient pas entre sacré et profane et chez lesquels, surtout, le groupe primait sur l'individu. Karol Modzelewski propose ainsi une nouvelle interprétation de la généalogie historique de l'Europe: loin de se réduire au seul héritage méditerranéen et chrétien, elle doit compter avec son passé barbare.