Qu'est-ce que l'Europe? Est-ce une réalité historique et géographique, un projet d'union politique, ou bien tout autre chose: un certain théâtre de l'esprit, comme disait le romancier Romain Gary, où se jouerait et se rejouerait sans cesse, dans le plus grand malentendu, ou la plus flagrante des équivoques, le sempiternel conflit de l'éthique et de l'esthétique?
Si l'on admet que la pièce qui s'y déroule s'appelle "culture" et que le public qui y assiste, qui parvient même, dans certaines conditions, à s'identifier aux acteurs sur la scène - c'est-à-dire aux "oeuvres de la civilisation" - se réclame lui-même de celle-ci, alors la question qui se pose au regard des malheurs de l'Histoire est bien de savoir quel est le sens de son intrigue. Quel est le drame de l'Europe? Et quel est son dénouement possible, si jamais il existe?
S'il y a bien lieu de penser qu'un spectre hante l'Europe et la hante depuis toujours, celui-ci n'est autre que le spectre de l'Europe; c'est ce fantôme qui fait corps avec son esprit ce "phantasme" qu'elle cherche inlassablement à inscrire dans les faits, dans l'ignorance, quasi schizophrénique; de sa nature véritable, qui est d'être à jamais et pour toujours quelque chose d'irréel et d'irréalisable.