« Vu que nous entrons ces jours-ci en une ère où la poésie a des chances de s'obtenir une place de choix dans l'ordre de l'esprit, j'ai assemblé de nombreuses notes sur le sujet sous la forme de brefs poèmes durant l'hiver dernier. Ces courts poèmes, au nombre d'une trentaine, forment L'Homme à la guitare bleue, dont le recueil tient son titre. Il traite des incessantes conjonctions entre les choses telles qu'elles sont et les choses imaginées. Bien que la guitare bleue soit un symbole de l'imagination, elle sert le plus souvent de simple référence à l'individualité du poète, lequel poète désigne tout homme doué d'imagination. » Wallace Stevens, 1937.
Membre éminent de la génération majeure du modernisme poétique des États-Unis, Wallace Stevens (1879-1955) est néanmoins un poète indirect, un poète taciturne, un poète oblique, que d'aucuns n'hésitent d'ailleurs pas à qualifier de Pierrot à ombrelle rose jouant au bilboquet tandis que la maison brûle. C 'est en partie pour répondre à ces critiques naïves bien plus que malveillantes que Stevens livre au public, en 1936, L'Homme à la guitare bleue, dont le thème (l'aède chante à sa lyre l'aède et sa lyre) comme la forme (le vers en dialogue avec le vers) du poème titrant le volume s'ajoutent, délibérément, à l'un des poncifs les plus anciennement brunis et éculés du folklore poétique - afin d'enfoncer sardoniquement le clou, qu'on le voie enfin, enfin ! dévier : sous le parasol rose, il n'est d'ombre que bleue.