Médecin de formation, philosophe et écrivain juif allemand vivant en retirance dans le Tessin à partir des années vingt, Max Picard (1888-1965) fut l'ami d'Emmanuel Levinas - qui lui emprunta sa notion de « visage humain » et l'auteur prolifique d'ouvrages inspirés, à mi-chemin de la réflexion philosophique et de la contemplation poétique. Le Land de Bade-Wurtemberg lui attribue en 1952 le Prix Johann Peter Hebel pour l'ensemble de son œuvre. Les éditions La Baconnière ont entrepris la réédition critique de cette œuvre vouée à l'essentiel (Le monde du silence, 2019 ; Des cités détruites au monde inaltérable, 2022).
Livre-jalon de la « reconstruction spirituelle », publié dès 1946 dans une traduction militante de Jean Rousset à l'enseigne des Cahiers du Rhône, presque immédiatement traduit dans le monde entier, L'homme du néant - paru en allemand sous le titre de Hitler in uns selbst - s'offre comme une tentative de sonder la catastrophe européenne à partir d'une anthropologie et d'une herméneutique des bouleversements humains introduits dans le premier XXe siècle.
Réflexion sur la « banalité du mal », pour reprendre les mots d'Hannah Arendt, son propos progresse le long d'une ligne de crête, entre sévère lucidité des diagnostics posés - le mal est en nous, indissociable de ce « monde de la discontinuité » qui conditionne toutes les barbaries, d'hier comme d'aujourd'hui - et sentes esquissées pour espérer collectivement une rédemption.
Max Picard éclaire cet insatiable appétit impérialiste nazi par la notion de néant qui, ayant aboli le temps, ne peut se répandre que dans l'espace comme « un gaz » précise-t-il, en référence à la barbarie mimétique de la Première Guerre mondiale ou à celle des guerres coloniales. Le nazisme ne signifie pour lui qu'une seule chose : l'omniprésente discontinuité dissolvante où la conquête n'est que dilatation du vide, exaspération de l'absence divine à l'époque qui a vénéré le politique au point d'en faire une nouvelle religion.