D'où vient que dans ces « chroniques d'une âme », la voix semble s'être retirée et parler de loin, depuis ce lieu où il n'y a plus de préoccupation littéraire, et où celui qui parle, dans la nécessité, ne cherche pas à écrire de la Poésie, mais est devenu Poème, dans le sens le plus fort de ce mot, dans l'à-vif de ce qui ne peut se départager de la pensée, du rythme, du déchirement du jour ? Porté par une grande douceur, celle de la perte et de l'abandon, et avec l'ironie terrible des formules acérées pour épingler les discours figés des fossoyeurs onctueux. Celui qui parle ici le fait dans le mouvement de toutes ces marches, de la nuit et de la ville arpentées, de rencontres fugitives et essentielles, de récits en plan, d'histoires en suspens, de ce qui ne peut se dire que dans une intonation juste, de ce qui s'échange dans le furtif, fugitivement, presque en silence. Avec la grâce de l'instant et le poids des phrases quotidiennes, et de leur beauté irruptive, la présence affirmée de toutes ces figures d'humains, de « pourvoyeurs d'abîme » et autres compagnons du silence, Christs à la dérive, livreurs d'oracles en douce, d'énigmes déchirantes, de phrases de rien qui font entendre toute la grandeur du langage quand il commence à s'adresser vraiment à quelqu'un.