Souffrir veut dire avoir mal. Mal dans son corps, mal dans son intimité,
mal dans son être, mal d'être. Mal dans sa vie, mal de sa vie, mal de vivre
jusqu'à souffrir du fait même de vivre, du fait même d'habiter son propre
monde. Or, quand l'identité n'habite plus son propre monde, il n'y a plus
pour elle de distinction entre l'ordinaire et l'insolite. Toutes les moeurs
sont, de son point de vue, des «pré-jugés», des «jugements» portant sur
ce qui se passe et ce qui doit se passer, verdicts rendus avant qu'ils ne
surviennent. L'identité se trouve déjà condamnée par la société et par le
monde avant d'en faire partie ; elle est l'étranger condamné à ne pas être
accueilli, condamné avant d'être accueilli. Quand elle ne connaît pas sa
place, elle ne sait pas non plus envers qui elle a des obligations et, par le fait
même, elle se sent exclue du monde sans savoir à quoi elle est obligée.
Cette exclusion clive l'identité et se transforme en mauvaise conscience,
en culpabilité et en effroi qui impose une dif-férence insurmontable entre
l'étranger condamné, déjà, avant son accueil et le «lieu» supposé être un
lieu d'accueil et qui devient un «lieu» de condamnation, un vertige de
jugement, un traumatisme de l'«étranger», un désastre sans «lieu» et sans
«visage». L'identité souffrante cherche un remède contre le vertige, la
«rédemption» par l'entrée dans le monde. Mais la gratuité ne suffit plus
pour entrer dans le monde ambiant ; il y a un prix à payer : aban-donner
son identité.
L'identité aban-donnée réclame son entrée dans le monde, et elle exige
d'être reconnue comme en faisant partie pour être comme tout le monde,
un organe mondain, une invasion anonyme. L'identité aban-donnée n'est
plus «enfermée dehors», dans le monde, mais «enfermée dedans»,
enfermée dans sa propre intimité, son «chez-soi», le «lieu» où elle est
accueillie et condamnée, en même temps. Elle est accueillie pour être
condamnée quotidiennement et de nouveau, ratée, bien que d'une seule et
même manière.