L'Ile des Pingouins
Cet ouvrage - oserais-je le dire - mérite l'appellation de « livre-culte ».
Partant d'une légende bretonne, présentant un « saint homme » voguant sur une barque de pierre afin d'évangéliser les
païens, Anatole France l'imagine assez myope pour aller baptiser des pingouins. Ce qui, bien entendu, suscite un émoi dans les cieux : un tel baptême est-il valide ? Si oui, faut-il doter tous les pingouins d'une âme ?
La cohérence théologique semblant imposer un tel choix, les pingouins seront dotés d'une conscience.
Ainsi, ils vont à leur tour découvrir tous les travers de l'humanité, leur trajectoire collective décrivant, de façon parodique,
l'Histoire de la France.
Des personnages apparaissent, parfois aisément identifiables - tels Pyrot pour Dreyfus, Colomban pour Zola, le Comte de Maubec de la Dendulynx pour Esterhazi - parfois énigmatiques, certains prenant les traits de plusieurs acteurs des temps contemporains.
L'admirable plume et l'humour extraordinaire d'Anatole France donnent ainsi naissance à une « fiction » aux accents parfois de pamphlet, à la fois tendre et malicieuse, drôle et tragique, aux orientations ouvertement libertaires.
Nous sommes loin de la première image que donnait Anatole France, celle du moraliste plutôt désabusé, contemplant le monde de loin. Il est alors dans la période des multiples engagements. Il conserve toutefois une prudente réserve à l'égard de tout mouvement utopique, comme en témoigne le dernier chapitre, l'« Histoire sans fin », où le seul signe de « rédemption », dans l'infinie grisaille du monde, est l'amour des deux anarchistes, de Caroline et Georges Clair...