Esthétiques ¤ ars
L'oeuvre est élevée en vis-à-vis avec les structures du langage, guidée par un discours, une intention critique de l'artiste face au monde. Mais n'y a-t-il pour rives de l'oeuvre que celles du connu et des mots ? Le déploiement moiré de la polysémie n'éclipse-t-il pas - pour l'avoir recouvert complètement - la subjectivité et ses rayons qui font sourdre une intensité dans le noeud des formes ? N'élude-t-on pas quelque chose qui se trame comme un système de signes ou d'images échappant au langage et prenant forme à la manière d'un corps, dans le sillage d'une sensation ? Autrement dit, comment peut-on parler de l'acuité d'une intériorité dans l'oeuvre, d'une expression, dans une création où règne une pratique dite de ready-made ? Une des questions qui se pose est celle du processus créateur : comment faire advenir ensemble, dans l'oeuvre, la nécessité d'une expression et celle d'un langage ? Serait-ce là une nouvelle forme de clivage chez l'artiste, dans son être au monde ?
L'image-charnière est un récit qui parcourt et cherche à mettre en exergue les liens et les connexions qui se jouent dans les dispositifs artistiques. La charnière est désignée ici comme l'articulation de deux éléments disjoints. Elle est distance entre eux. Elle rattache autant que sépare l'un à l'autre deux objets dans une installation, deux images dans un polyptique, deux éléments de nature différente dans l'hybridation d'un objet. Et elle se multiplie à mesure que se font plus nombreux les fragments qui constellent l'oeuvre. La charnière est lien et répond à la nécessité du créateur d'assembler sans coller, de construire sans cimenter, de joindre sans souder. C'est alors de différentes charnières qu'il en retourne dans cette analyse : charnières-fixations, charnières-ressorts, charnières-passage. Les unes engagent une articulation de sens. Les autres prennent jour dans la sensation corporelle et la charnière devenue chair s'affirme comme gond, faisant pivoter une porte, engageant une traversée d'un espace à un autre, au-delà de toute frontière que les habitus inscrivent dans nos corps.