L'immanence de l'ego
La fascination qu'éprouve Wittgenstein dès les Carnets de 1914-1916 à l'égard du solipsisme va se retourner au cours de son oeuvre en dénonciation du sujet comme illusion métaphysique. Tout en maintenant, dans le Tractatus, un sujet métaphysique comme condition de possibilité du monde et porteur de la volonté éthique, le jeune auteur le réduit à un simple point de perspective sur le monde. La grammaire philosophique du second Wittgenstein sera fatale au concept de sujet métaphysique. L'emploi de « je » apparaît comme un des « modes de présentation » les plus fourvoyants du langage, dont on pourrait se passer, en adoptant un autre « système de notation », sans perte sémantique. L'ego est immanent au langage, qu'il configure sans rien lui ajouter. L'hypostase du sujet à partir du pronom de la première personne est critiquée dans le Cahier bleu : dans « Je pense, donc je suis », « je » n'a pas de rôle référentiel, ni de référent. L'expérience du Cogito est déboutée de ses prétentions fondationnelles par l'étude de la grammaire de « je ». Dire « je » est moins parler de soi qu'instaurer un système de repérage égocentré et amorcer un jeu de langage. Surtout, la grammaire des énoncés égo-psychologiques, comme « j'ai mal », révèle une asymétrie entre la première et la troisième personne qui alloue à ces phrases le statut d'« expressions » (Äusserungen) sans valeur de vérité mais jouissant de l'autorité de la première personne. La tentative pour éliminer le sujet métaphysique le fait en somme réapparaître sous la forme désenchantée de cette asymétrie grammaticale, en quoi consiste la seule réalité du sujet.