Il est classique d'enseigner que le droit du travail s'est construit contre la
vision individualiste des relations de travail héritée de la Révolution française
et du Code civil de 1804, et que toute son histoire est celle d'une transposition
progressive des rapports individuels sur le plan collectif. Le droit du travail va
inventer le collectif et va s'inventer autour du collectif. C'est ainsi, en élaborant
un réseau dense de protections et de garanties collectives, que le droit du
travail va arracher le salarié au principe de la liberté contractuelle et
accomplir sa finalité protectrice.
Or une partie de la doctrine travailliste, situant ses observations au
niveau de l'évolution des normes juridiques, a récemment mis en lumière une
réhabilitation du salarié-individu. Ce constat ne peut que susciter la
curiosité, et plus encore l'inquiétude. En effet, certains discours qui se
présentent comme authentiquement libéraux mènent, depuis plusieurs
années, au nom de l'individu et du respect de ses droits, une véritable
entreprise de «délégitimation» du droit du travail tel qu'il s'est construit en
France depuis le milieu du XIXe siècle. Faut-il voir dans le retour diagnostiqué
de l'individu la concrétisation de ces thèses, une logique de «déconstruction
néo-libérale» du droit du travail ? Ne peut-on au contraire situer ce retour dans
la dynamique même du «modèle classique» de droit du travail ? Loin d'être en
rupture par rapport à ce modèle, il en serait le prolongement. Mais, à supposer
qu'il soit possible de retenir cette seconde analyse, ne pourrait-on pas tout de
même craindre que ce retour, paradoxalement, mette en péril certains des
équilibres fondateurs du droit du travail ?
Répondre à ces questions suppose de prendre l'exacte mesure de ce
phénomène d'individualisation, d'en cerner le plus précisément possible les
contours et les formes. Mais cela suppose aussi d'en identifier les ressorts (les
sens, les raisons, les fondements), de mettre au jour ses conséquences et ses
implications. Cela oblige enfin, pour reprendre les mots du Professeur Simitis, à
se rappeler «les origines et les buts des mécanismes régulateurs du droit du
travail».