Notre société est obsédée par les jeunes de cité. Cette peur sociale va de pair avec une ambition politique : assimiler à la nation les mineurs " mal nés ". Enfants naturels sous la Révolution, jeunes délinquants au début du XIXe siècle, enfants abandonnés sous la Troisième République, jeunes de banlieue aujourd'hui, tous sont condamnés à une réhabilitation physique et morale susceptible d'effacer leurs origines imparfaites.
Emblématique des idéaux républicains, cette utopie intégratrice est l'une des plus anciennes politiques publiques en France. Or le " modèle français d'intégration " se révèle plutôt un contre-modèle, non seulement parce qu'il échoue à insérer les jeunes dans la société, mais aussi et surtout parce qu'il postule l'inégalité des individus.
Depuis les " bâtards " de l'an II jusqu'aux " racailles " des années 2000, l'État-nation démocratique s'est confronté à toutes les figures de l'altérité juvénile, qu'il a contribué à stigmatiser en voulant les sauver. C'est cette longue entreprise que retrace Ivan Jablonka, dans un ouvrage essentiel pour comprendre notre société actuelle.
Ivan Jablonka est maître de conférences en histoire contemporaine à l'université du Maine, chercheur associé au Collège de France. Il a publié plusieurs livres sur l'enfance, la jeunesse et les politiques sociales, ainsi qu'une biographie familiale, Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus (Seuil, 2012).