L'invention du Cap-Vert
Dans sa dimension culturelle, la créolisation est une manière de se transformer en continu, de façon imprévisible, qui suscite d'étranges équilibres provisoires lorsque chacun des groupes sociaux en présence semble interagir avec l'autre, sans en prendre toujours la mesure.
Par la description du processus de créolisation qui sous-tend l'invention du Cap-Vert, Pierre-Joseph Laurent remédie enfin au problème d'une vision historique tronquée, liée à ce que l'ancienne métropole, Lisbonne, et la société portugaise ont seulement souhaité retenir du passé : l'épopée des grandes découvertes et l'empire colonial.
Lorsque des faits de la vie quotidienne n'ont pas été consignés par les historiens, ils peuvent être compensés autrement : en recourant à l'observation participante, l'anthropologue est en effet capable de combler certaines omissions des archives. Ecrire ce livre a donc nécessité d'articuler avec patience et rigueur de longues études de terrain aux travaux d'historiens. Et le défi était de taille, s'agissant d'adopter un regard attentif à toutes les composantes de cette microsociété insulaire qui s'organise à partir de la seconde moitié du XVe siècle. Venus d'ailleurs, les courtiers luso-africains, les esclaves - majoritaires - et les Portugais, aristocrates et colons, ont débarqué, de gré pour certains, de force pour les autres, dans un archipel inhabité, à six cent cinquante kilomètres des côtes d'Afrique de l'Ouest. Si la rencontre entre la culture des maîtres et celles des esclaves est inégale, la première tentant d'imposer sa façon de penser le monde, cette minutieuse enquête nous révèle qu'en définitive, c'est le catholicisme qui s'est créolisé - et les maîtres qui ont appris de leurs esclaves.