La peinture de la fin du XIXe siècle regarde l'enfant d'un oeil neuf. Elle cherche à reproduire le naturel enfantin, loin de l'enfance modèle et du portrait de famille. Une nouvelle expression de l'enfance naît sous le pinceau des peintres, qu'ils se nomment Gauguin, Carrière, Valadon, Vallotton, Bonnard.
Cette expression, certains la reconnaissent dans le corps de l'enfant, dans l'univers de ses gestes et de ses postures ; d'autres peintres, surtout ceux de la génération suivante comme Matisse et Picasso, vont la repérer dans le dessin de l'enfant, dans les tracés faits par sa main.
On relève chez l'enfant dessinateur un « désir de la ligne » que Matisse, à l'époque du fauvisme, dit rechercher dans son dessin. On range le « bonhomme » dessiné par l'enfant aux côtés des masques tribaux, dans une préhistoire de la figuration. On s'interroge sur le phénomène du « gribouillage », alternativement présenté comme une création et comme une destruction. C'est ainsi que le dessin d'enfant va rejoindre les arts primitifs dans les sources des avant gardes, tout en y occupant une place plus discrète, moins avouée, en un temps où les peintres doivent répondre à l'accusation de se livrer à des enfantillages.
Cette révélation du dessin d'enfant intervient en plein débat sur la réforme de l'enseignement du dessin à l'école. Deux modèles pédagogiques s'opposent : l'héritage positiviste et coercitif qui veut dresser l'écolier, la jeune réflexion psychopédagogique qui voit dans l'activité graphique une contribution essentielle au développement de l'enfant. En 1909, les novateurs obtiendront gain de cause avec une réforme décisive introduisant le dessin libre dans l'enseignement primaire.
Entre 1900 et 1914, le dessin d'enfant est l'objet de toutes les attentions : on le commente, on le reproduit, on va jusqu'à l'exposer dans les galeries d'art et les salons de peinture. Mais les intérêts des uns et des autres ne se confondent pas : tandis que les pédagogues veulent cultiver le dessin d'enfant pour son rôle formateur, pourvoyeur de compétences, les artistes voient et convoitent en lui la fantaisie, la sauvagerie, la libre interprétation du monde.
La découverte du dessin d'enfant n'est pas seulement un point d'histoire, c'est aussi un débat touchant des questions primordiales. Remonter le temps, c'est ici reprendre le fil d'une réflexion qui nous occupe toujours.