Préalable à toute histoire du sujet que l'on prétendrait mener
sur la longue durée, la présente enquête part d'un fait textuel :
l'invention de la substantivation «le moi» par Pascal, qui lui-même
prend acte de l'expression cartésienne inédite d'ego ille.
Le moi n'est pas un donné premier et intemporel, mais résulte du
doute porté à son point extrême - c'est pourquoi l'Antiquité et
le Moyen Âge l'ont ignoré. Aussi notre enquête ne s'inscrit-elle
pas dans la continuité des études sur les commentaires du De
Anima. Elle ne se confond pas davantage avec celles des origines
de la subjectivité puisque, avant même d'être déterminé comme
sujet, c'est-à-dire comme fondement, le moi est obtenu par le travail
de ce que Husserl appelle réduction phénoménologique.
Le moi n'est donc identifiable ni à l'âme, ni à l'entendement, ni
à la conscience, ni à l'individu, ni à la personne, ni même au soi.
Et ce n'est qu'en le distinguant de tous ces avatars que l'on pourra
répondre à l'interrogation de Husserl : «Que peut-on entreprendre,
dans une perspective philosophique, avec l'ego ?»
Ce livre analyse ce qui permet l'invention du moi, aussitôt occultée
par l'individu de Leibniz ou le soi de Locke, et met en lumière ce
qu'elle inaugure : car la première question posée au moi, par
Pascal comme par Descartes, n'est pas celle de savoir ce qu'il est
mais celle, existentielle, de savoir qui il est.