On a toujours eu tort de prendre Lionel Jospin pour un homme simple, transparent, terne et austère. Il faut, comme Claude Askolovitch, se plonger dans l'étrange histoire de sa vie pour comprendre pourquoi ce fin politique a eu, depuis toujours, le besoin absolu de se forger une armure. Dans quel but ? Sans doute pour échapper à son clan familial. Pour devenir énarque. Pour être digne de sa morale, de ses convictions, de ses fonctions, de la gauche, cette autre famille qu'il dirige et qu'il va finir par incarner...
Dans cette biographie, Claude Askolovitch a voulu, aussi, raconter le destin d'un homme qui a menti sur son passé tout en étant obsédé par sa propre cohérence : d'où ce Jospin militant révolutionnaire infiltré au Parti socialiste de François Mitterrand, qui devint le premier dirigeant de ce parti sans avoir rompu les liens avec sa secte d'origine ; qui fut trotskiste et socialiste à la fois, écartelé entre sa vérité officielle et ses rendez-vous clandestins, prisonnier de toutes ses fidélités...
En chemin, l'auteur éclaire les zones d'ombre d'un être secret et riche de tous ceux qui l'ont aimé et subi à la fois : son père Robert, immense tribun à l'éloquence inutile, ce pacifiste qui voulut changer le monde et ne parvint qu'à se tromper. Sa mère, Mireille, sage-femme et militante, qui imposa aux siens sa morale et son amour. Ses femmes : Elisabeth la fantasque, la première épouse, celle du Lionel radical, militant, plein d'espoirs encore et de tourments déjà ; Sylviane, la compagne de l'accomplissement, la philosophe qui complète un gouvernant enfin apaisé. Ses amis, notamment le plus inconnu d'entre eux, l'ami perdu : Michel Lautrec, son plus proche compagnon, un frère rencontré à 20 ans, un éducateur d'enfants qui lui enseigna la révolte, l'intransigeance, la révolution, et ne pardonna pas à Lionel de devenir un bourgeois, un «installé».
Voici le roman vrai d'un homme irréductible, qui prétend imposer ses conditions au monde. D'un politique à la fois construit et habité par des fantômes. D'une personnalité infiniment plus complexe, profonde, intéressante, lorsque l'on fait effort pour le connaître de l'intérieur, que ne permet de le supposer le masque qu'il s'est lui-même imposé.