Comment avons-nous appris à nous souvenir ? Comment
avons-nous développé la maîtrise des gestes simples,
marcher, tenir une fourchette, enfiler une veste ? Nous
l'ignorons, nous l'avons oublié. Certaines maladies
sabotent les plus anciennes de nos acquisitions.
Pourtant, les personnes souffrant de telles pertes usent
de ressources insoupçonnées pour garder l'unité de leur «soi».
Le pari de l'auteur est de considérer la mémoire non pas comme
quelque chose d'inné et de naturel, mais comme un acquis, une conquête,
le produit d'une «technologie» dont les modèles se transforment au cours
de l'histoire. Des arts de la mémoire, cultivés jusqu'à la fin du XVIIIe siècle,
aux recherches actuelles sur l'intelligence artificielle et la génétique, en
passant par les thérapies psychiques qui cherchent à débusquer les «secrets
pathogènes», nous avons toujours envisagé la question de la mémoire en
la comparant à la technologie la plus en vogue : tablettes d'argile, peinture,
bibliothèque, télégraphe, téléphone, ordinateur... Pour l'auteur, ces
comparaisons ne sont pas sans effets. Elles révèlent ce qui est en jeu dans
le choix des valeurs et de la destinée humaine. Les mystiques célébraient
autrefois la Passion du Christ dans leur propre chair, se faisant mémoire et
parchemins vivants sous le poinçon des stigmates. Aujourd'hui nous
concevons l'homme comme une machine intelligente, nous fabriquons ses
prothèses cognitives et préparons pour demain les modules implantables
de mémoires artificielles que son cortex accueillera.
Dans ce voyage vertigineux à travers l'exploration de modèles éphémères,
nous assistons à des «crimes psychiques». Ceux qui résistent en pratiquant
les anciens arts de la mémoire sont détruits. Maintenant que nous avons
découvert la mémoire millénaire inscrite dans l'ADN, nous cherchons,
non sans dangers, à la modifier.