L'oeil blessé
Après la Révolution française, le « vandalisme » est répudié et la « guerre aux démolisseurs » lancée avec emphase. Pourtant, au fil d'un XIXe siècle convulsif, des statues sont bel et bien déboulonnées, des bustes brisés, des emblèmes martelés, des drapeaux brûlés, des cocardes arrachées et piétinées. L'iconoclasme est certes miniaturisé et négocié, mais il se répète avec insistance. De la Restauration à la Commune de Paris, la destruction des signes de l'adversaire devient le lot commun de la politique.
Que détruisent, alors, ces « iconoclastes modernes » ? Avec quels gestes s'attaquent-ils aux images et aux signes visuels ? Que visent-ils à travers eux ? Quelle puissance et quelle vitalité attribuent-ils aux images ? Quels effets croient-ils produire sur le monde social et sur les rapports de pouvoir ?
Toutes ces questions prennent une singulière acuité au XIXe siècle : la fragilité des pouvoirs, les profondes poussées démocratiques, la transformation du rapport au passé, la laïcisation graduelle de la société, la reproductibilité technique des images dessinent un nouvel iconoclasme.
Nourri d'archives vivantes et sensibles, l'ouvrage ne se contente pas d'exhumer des gestes oubliés ou effacés de l'histoire. Il définit le paysage des signes conflictuels et les regards portés sur eux. Il construit, surtout, une grammaire de l'iconoclasme qui résonne fortement avec notre présent. Dans des conjonctures fluides où la souveraineté paraît disponible, les iconoclastes s'attaquent aux signes qui la rendent visible et s'affirment eux-mêmes comme souverains. Ils épurent aussi les images du passé lorsqu'elles infligent une « blessure » morale à l'oeil du regardeur. À d'autres moments, ils cherchent plus simplement à entrer par effraction dans l'espace public, sans autre espoir que de prendre la parole en s'attaquant à des signes intolérables.