Du temps où vivait Chardin, l'art de la peinture était soumis aux lois d'une curieuse hiérarchie, qui comportait de supposés « grands genres » (scènes à caractère religieux ou historiques, portraits de « grands personnages »...). Le sujet l'emportait donc de loin sur le talent que pouvait avoir le peintre à traduire ou à transfigurer le réel.
C'est l'un des plus petits genres que choisit ce fils d'artisan ébéniste. Il se trouve que ce genre « mineur » était tout entier consacré à la figuration fidèle de la réalité du monde visible, dont les objets statiques sont les plus sûrs jalons. Formes, volumes, couleurs, consistances et textures s'y confrontaient sans prétention ni ambition symbolique ou métaphysique à la lumière, bien souvent produite par une bougie absente du tableau.
Ce « parti pris des choses », loin des allégories, des évocations bibliques et mythologiques ou des récits de batailles, loin de ces galeries de portraits où venaient parader les altesses, nous est devenu un inépuisable gisement de rêverie (celle qu'exaltèrent avec la fausse modestie qui caractérise leur génie un Reverdy, un Ponge ou un Follain).
Gil Jouanard se place dans la situation qu'avait adoptée Jean Siméon Chardin pour considérer et portraiturer les choses dont sa cuisine et sa salle à manger, plus rarement son salon, avaient fait leurs intimes familiers. Et son modèle, c'est Chardin lui-même, Chardin face à son motif. Chardin confronté aux transparences, aux reflets, aux matières dont étaient faites, et dont sont faites, ces « natures silencieuses ».
Il scrute à son tour la nature silencieuse du peintre, en adepte consciencieux de l'effet Ripolin.