D'innombrables plaintes sont venues s'échouer au tribunal civil au fil des XIXe et XXe siècles, des milliers de dommages privés y ont été publiquement exposés, discutés, avant d'être avalés par l'ogre du jugement : de sombres affaires de famille, des histoires d'enfants abandonnés, de parents maltraités, des avortements qui ont mal tourné, des époux qui se sont évaporés, mais aussi des accidents au travail ou ailleurs. Les magistrats les ont examinées et racontées dans cette grande anthologie de la jurisprudence que Jean-François Laé examine à son tour avec une rigueur qui n'efface pas l'émoi.
C'est, en effet, une extraordinaire collection de récits de heurts et de malheurs, de violences infligées ou subies, de négligences au travail, de litiges en tous genres. Ils parlent du corps et des passions pour tenter de les cerner et les contenir. Ecrits par ces hommes de loi qui partagent évidemment les inquiétudes, conceptions et préventions de leur temps, ils témoignent de l'histoire des disciplines et des idées sur les «mœurs». Mais c'est aussi une histoire du droit à l'œuvre, cherchant ses mots, polissant ses concepts, en inventant de nouveaux, à travers une longue série d'affaires judiciaires. Ainsi voit-on la notion d'injure migrer du code pénal au code civil pour qualifier l'inconduite d'un époux, l'adultère criminel céder le pas au divorce par consentement mutuel, le préjudice moral se préciser, les responsabilités, les imprudences comme les nuisances se détailler et se codifier. Où est la faute, l'offense, la maladresse ? Ces questions, sans cesse, sont reprises et remises sur l'établi du droit.