L'aura sulfureuse du roman culte des années 1950, Lolita, de Vladimir
Nabokov, a propulsé le livre sur les devants de la scène internationale, mais
elle a aussi longtemps occulté les figures extraordinaires, les tours et détours
subtils d'une prose singulière, aux accents multiples et à l'intertextualité
complexe. Les accointances avec le cinéma de l'écrivain russe naturalisé
américain ont également prédestiné le texte à un devenir cinématographique,
tant sa texture visuelle est riche et ses références filmiques multiples.
Lorsque Kubrick décide de porter à l'écran Lolita en 1962, une partie du
travail de l'adaptation est donc déjà enclenchée. Le scénario original de
Nabokov est cependant si détaillé et, précisément, si personnel, que le cinéaste
se voit obligé de réécrire, avec son coproducteur James Harris, l'essentiel de
ces quatre cents pages pour inscrire dans un autre médium une oeuvre
profondément originale, elle aussi émaillée d'allusions méta-filmiques. Nous
allons pénétrer au coeur de la spécificité linguistique et narrative du roman de
Nabokov, ainsi qu'au coeur du processus de transcodage et d'intermédialité
du film, pour en décrypter les grands motifs et modes de représentation.