L’homme sans ombre est un moi sans Autre, monade solipsiste. Inquiétante étrangeté de ce moi inaltéré, égal à lui-même, sans différence. Cette vie sans ombre, exposée à la lumière du jour, ce Même sans Autre, ne serait qu’expérience mutilée, umbra vitae, ombre de la vie. L’étrange histoire de Peter Schlemihl, fable morale et métaphysique, plane sur les pages de ce livre comme une allégorie de l’histoire de la pensée française après la guerre froide. Procédant par micrologies, L’Ombre pour la proie suggère, en s’étayant d’un vaste corpus de textes polémiques, philosophiques et littéraires contemporains, que l’homme postmoderne, nouveau Peter Schlemihl, aurait ainsi aliéné son ombre (l’Autre, la Loi, le Symbolique) à la jouissance immédiate et sans entraves qu’offre une société hyper-individualiste et festive. « Je sais que l’ombre n’existe plus dans notre monde, c’est un accessoire démodé de romans gothiques », écrivait le romancier Pierre Jourde. Peut-être l’écrivain survit-il littérairement dans un univers post-littéraire, dernier témoin d’une civilisation crépusculaire