Etonnant paradoxe, on n'aura jamais autant parlé des droits de l'homme
alors qu'ils n'ont jamais été si peu respectés. De sérieux dysfonctionnements
se sont faits jour à l'Organisation des Nations unies, au sein même de la Commission
des droits de l'homme. Aujourd'hui, parmi les 53 membres de la
Commission, nombreux sont les pays qui refusent de se soumettre dans les
faits aux principes auxquels leur signature les engage. Et comme pour enfoncer
le clou du discrédit, la Libye a accédé pour un an à la présidence de la
Commission en 2003.
Latente, la crise est devenue manifeste lors de la Conférence mondiale contre
le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance à Durban,
début septembre 2001. Des groupes d'activistes et quelques pays plus soucieux
de propagande que d'un véritable engagement contre le racisme ont
kidnappé les débats aux dépens de tous les autres problèmes pour ne dénoncer
que l'État d'Israël. La Commission peine à se remettre du fiasco de Durban,
et d'aucuns s'interrogent sur son avenir. Certes, elle demeure le lieu où
les ONG peuvent encore dénoncer des coupables et où la «société civile»
trouve un espace pour s'exprimer, ne serait-ce que pour dire à mots couverts
que le roi est nu. La tentation est grande pour divers États d'utiliser cette tribune
à des fins propres, et ils ne s'en privent pas : devenue le champ clos où
s'affrontent des intérêts contradictoires, elle risque de n'être bientôt plus que
le reflet de rapports de forces internationaux. Comment, dans ces conditions,
imposer malgré tout le respect des droits de l'homme ? Kofi Annan lui-même
ne peut que déplorer «le fossé qui sépare le droit de la réalité»...