Monde germanique
Après quelques tentatives infructueuses pour créer une forme « allemande » de tragédies intégralement chantées, c'est au Nord du Saint-Empire, à Hambourg, que se développe pour la première fois un important répertoire opératique en langue allemande. Quelque 250 oeuvres lyriques, pour la plupart créées en langue vernaculaire par des compositeurs aussi célèbres que Haendel, Keiser ou Telemann, sont représentées sur la scène du Marché aux oies (Gänsemarktoper) entre 1678 et 1740. Cet établissement revêt une dimension exceptionnelle dans l'histoire théâtrale allemande, car il se trouve être à la fois le premier théâtre permanent privé et le premier opéra public de l'espace germanophone.
L'auteur met en évidence les paradigmes ayant infléchi, au lendemain de la guerre de Trente Ans, l'histoire de la cité la plus septentrionale du Saint-Empire et met en lumière la coïncidence entre l'essor fulgurant de la ville hanséatique (qui devient alors, derrière Vienne, la deuxième cité la plus peuplée de l'Empire) et l'émergence tout aussi rapide du genre opératique à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles. Les mutations d'ordre politique, confessionnel et diplomatique survenues après 1648 ont modifié l'espace musical local et contribué à la fois au développement d'un nouveau genre en vogue dans toutes les cours d'Europe et à l'institutionnalisation d'un lieu privé dévolu à ces spectacles.
Un genre issu des cours catholiques de la péninsule Italienne s'est ainsi établi, dans l'espace germanophone, dans un port marchand, hanséatique, luthérien et bourgeois. Véritable creuset culturel attirant des artistes renommés et des aristocrates curieux d'entendre les nouveaux opéras, le Gänsemarktoper contribua à faire de la Ville libre l'« idéal-type » d'une nouvelle culture urbaine à l'époque de la première modernité.