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Ma déchirure, qui est une adaptation à la scène du roman de Chabrol, Je t’aimerai sans vergogne, publié en septembre 1967, a été créée le 21 février 1968 au Théâtre de la Commune à Aubervilliers. Au départ un procès : d’un côté les Ruiz, de l’autre les Palomi, un pêcheur et un douanier, un réfugié espagnol et un fonctionnaire corse. Au milieu des cris, le regard silencieux échangé entre Pascal et Nièvès, rejetons de ces deux familles ennemies. L’amour plonge brusquement Nièvès et Pascal dans un univers neuf, et c’est au moment où ils se croient libres et disponibles que leur lien à un milieu social et familial se fait sentir. Nièvès est hantée par les images de sang et de mort dont sa tante la Morèna pare les amours d’Aïcha et Diego Ruiz. Pascal fait des études à Paris et n’a plus avec les siens d’attache réelle. C’est un déraciné et Nièvès, fille d’émigré, fruit conjugal de plusieurs civilisations, arabe et espagnole, l’étonne. Elle représente pour lui la tentation d’un certain absolu entrevue dans le monde intellectuel de ses lectures. Dans le passage d’un mode romanesque à un mode dramatique, le roman utilisait un thème bien théâtral : celui du déguisement. Nièvès, à l’aide d’images « dans le vent » que lui offrent les magazines, la télévision, se compose un personnage vif en couleur : Jenny. Elle brise le jeu de Pascal qui se voulait pour l’été le « Don Juan de la Marine ». Jenny est devenue sa confidente, sa bonne amie, plus que la femelle. Avec Nièvès, il se retrouve dans le costume fripé du jeune premier romantique ; le sentiment du ridicule le gagne. C’est l’éternel jeu des apparences, le personnage que chacun campe pour autrui, si bien que la vérité fuit. Pour la fille des Ruiz, qui de Nièvès ou de Jenny existe ? La « déchirure » de Pascal l’enferme dans une île, son bateau. Le langage suit les différents mouvements de la pièce. La Morèna est tantôt la vieille qui tient la maison, ravaude le linge, fait la cuisine ; tantôt elle est le chœur, la Mère qui commente l’action, en la remodelant elle-même pour lui faire redire l’histoire des ancêtres. Ailleurs, sa pensée puise dans l’événement, elle devine ; les mots affluent et leur accumulation permet d’aller au-delà du sens propre : la Morèna devient la Maquerelle : c’est la scène de la défloraison où prononçant une sorte de litanie, elle retrouve les gestes d’un rituel. Ainsi la pièce remet en question le sujet du roman. Elle tente de faire écouter à la scène les élucubrations et les déchirements intérieurs par ce qui est appelé « une physique de la parole ».