L'inculpation d'Andreotti pour complicité avec Cosa Nostra, en mars
1993, a marqué une rupture décisive dans l'histoire de la question
mafieuse en Italie. Pour la première fois, la magistrature parvenait à intervenir
dans un domaine qui lui était jusque-là demeuré étranger : celui de
la «mafia politique», des «enchevêtrements pervers» entre les pouvoirs
officiels et la criminalité. Les accusations portées contre Andreotti, redoublant
les révélations judiciaires quant à la corruption des élites dirigeantes,
rejaillissaient alors sur le régime dont il avait été l'un des plus
illustres représentants. Elles alimentaient une crise politique de grande
ampleur, qui allait aboutir à la chute de la «Première République» et dont
l'arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi a été la conclusion inattendue.
Comment expliquer une telle rupture ? A quelles conditions des juges se
sont-ils emparés, pour tenter de les sanctionner, des collusions politico-mafieuses
? Sous quelles formes les croisades morales contre la mafia
sont-elles intervenues dans le discrédit soudain qui a frappé les gouvernants
au début des années 1990 et, en retour, dans la légitimation des
acteurs politiques qui revendiquaient leur succession ? Et pourquoi un
procès qui avait été d'abord érigé en symbole de la faillite d'un régime
miné par les illégalités et les compromis occultes est-il progressivement
devenu celui des outrances et des dérives du «gouvernement des juges» ?
En suivant le fil de l'affaire Andreotti, en la resituant dans la trajectoire
longue de la lutte antimafia et en retraçant son déroulement jusqu'à l'acquittement
du prévenu à la fin 2004, ce livre offre des réponses à ces questions.
Au-delà, il interroge les dynamiques et les contradictions du projet
de divulgation de la «face cachée» de l'Italie républicaine, qui a marqué
(et continue de marquer) l'histoire politique et intellectuelle du pays.