Aux XVIe et XVIIe siècles, l’île de Malte, propriété de l’Espagne et confiée en 1530 à l’ordre militaro-religieux des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, devient un lieu privilégié d’affrontements entre les rives chrétienne et musulmane de la Méditerranée. Après des épisodes militaires marquants (la razzia de 1551 et surtout le « Grand Siège » de 1565) ainsi que des fortifications intensives (notamment la construction de La Valette, cité utopique réputée imprenable), l’île incarne à la fin du XVIe siècle la frontière par excellence de la chrétienté face à l’Islam. Au siècle suivant, son épanouissement en tant qu’île-frontière est symbolisé par l’essor de la guerre de course, qui maintient l’affrontement avec les « Infidèles » tout en favorisant l’émergence, puis le développement de contacts commerciaux avec la rive ennemie pour l’écoulement des butins et des esclaves. Le développement multiforme des contacts humains et marchands est alors en permanence contrôlé et régulé par les autorités politiques et religieuses (l’Ordre, le Saint-Office, le clergé insulaire), soucieuses de maintenir intact le sentiment d’un contraste entre les civilisations que semblent effacer les associations commerciales qui transcendent les appartenances nationales ou confessionnelles. Ce singulier équilibre entre ouverture économique et clôture religieuse et mentale contribue alors à façonner une société originale, qui apparaît porteuse de la dualité inhérente aux frontières, c’est-à-dire à la fois ouverte, cosmopolite, et profondément hostile à toute différence religieuse.