Yayoi Kusama, on la savait excentrique, on la découvre scandaleuse,
incorrecte, embarrassante, mais sacrément juste et nécessaire.
Publié pour la première fois en 1978 à son retour à Tokyo après un long exil
volontaire à New York, Manhattan suicide addict, n'avait jusqu'alors
connu de traduction. Il est presque compréhensible que personne n'ait
voulu se lancer dans la traduction d'un tel brûlot qui met à mal, non seulement
le puritanisme américain, protestant et honteux, mais surtout la bonne
forme, par la totale incorrection du propos et sa manière - précise et onirique
à la fois, factuelle jusqu'à l'hyperréalisme et délirante simultanément.
C'est l'histoire d'une artiste d'avant-garde qui tourne mal, qui s'affiche en
Pimp Kusama, fournissant à l'élite médiatico-intellectuelle (des deux sexes)
une cohorte de jeunes éphèbes gay en rupture de famille.
Mais c'est aussi l'histoire d'une souffrance, d'une jeune femme en proie
à un syndrome narcissique avec dépersonnalisation et hallucinations que
l'usage immodéré de drogues en tous genres apaise (et/ou accentue ?).
L'histoire d'une réécriture des années 60 à l'aune d'un Japon étouffant qui
malgré tout accueillit sa prose et la célébra.