Vers 140, à Rome, Marcion, originaire du Pont, commence à prêcher un évangile radical qui sépare et oppose le Dieu bon du Nouveau Testament et le Dieu juif, créateur et auteur de la Loi. Rejeté par la communauté chrétienne, il fonde une Église qui s'étend «à tout le monde habité» et qui rivalisera longtemps avec la Grande Église avant de disparaître vers le IXe siècle. Justin, Tertullien, Irénée, et tous les Pères de l'Église l'ont fermement combattu.
Celui que certains Pères ont considéré comme l'«hérétique par excellence» pour avoir porté atteinte à l'unité de Dieu et à la réalité du salut dans la chair mortelle, aurait pu tomber définitivement dans l'oubli. Or il retrouve un regain d'actualité avec la critique historique du Nouveau Testament à partir du XVIIIe siècle. N'est-il pas le créateur du mot même d'évangile, la bonne nouvelle du Dieu bon, et à l'origine de la création d'un Nouveau Testament distingué de l'Ancien? Pour la théologie protestante du XIXe siècle, Marcion devient alors le témoin d'une transition entre l'évangile primitif et un précatholicisme qui renforce l'emprise de la loi et des institutions (règle de foi, magistère épiscopal, sacrements, morale).
Harnack a fait de Marcion la figure la plus importante de l'histoire de l'Église entre Paul et Augustin, un réformateur plus conséquent que Luther et sa dialectique Loi-Évangile: seul compte l'évangile de la bonté de Dieu et l'Ancien Testament doit être rejeté hors de la Bible chrétienne.
Cette thèse radicale touche non seulement aux relations entre judaïsme et christianisme en excluant toute théologie interreligieuse mais elle a pu aussi recouper des théories politiques et sociales exclusivistes ou protestataires, notamment chez Carl Schmitt et Ernst Bloch.
Les contributions de B. Lauret, G. Monnot, E. Poulat et M. Tardieu, réunies en fin de volume, permettent de faire le point sur la recherche historique depuis Harnack et de mettre en perspective les éléments de reconstruction de ce Marcion redivivus.