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On ne connaît que peu de chose de Marco Polo, le plus fabuleux voyageur de son temps, sinon ce qu’il dicta en français à Rusticien de Pise, quand il se trouvait dans un cachot de Gênes, après avoir été fait prisonnier au cours d’un combat naval que perdit la flotte vénitienne. De lui, de ses parents, il ne dit rien, se bornant à décrire, dans "Le Devisement du Monde", ses voyages et les pays qu’il a traversés. Ce jovial et robuste garçon qui aimait les filles, surtout de mauvaise vie, le vin, la chasse, le faste, bien plus condottiere que marchand, mais ne négligeant jamais ses intérêts, charmeur, courtisan, reître quand il le fallait, peu encombré de scrupules, fut toujours d’une extraordinaire discrétion sur certains épisodes de son existence. Jamais il ne fait allusion aux nombreuses et difficiles missions qu’il remplit pour le compte du Grand Khan, et qui relevaient plus de l’espionnage que de l’ambassade. Ni de quelle façon il servit Venise, ce qui lui valut d’être fait patricien, alors qu’aucun nouveau nom ne pouvait plus être inscrit sur le livre d’or de la noblesse vénitienne. C’est à cet aspect mystérieux, insolite, ignoré de la vie de Marco, que Jean Lartéguy s’est particulièrement attaché : l’espion, le « bayle », l’ambassadeur secret de Venise auprès du Grand Khan, maître tout-puissant de la moitié du monde, celui qui serait devenu, selon les Annales chinoises ce Po-Lô, vice-président du Conseil supérieur de la guerre, la plus haute instance de l’empire mongol, le frère de choix du prince héritier Djinkin, qui conduisit la princesse Cogatra au Khan de Perse, afin qu’elle l’épouse et restaure la tradition gengiskhanide. Un voyage qui dura trois ans ! Jean Lartéguy a utilisé toutes les sources qui lui étaient accessibles : italiennes, françaises, tartares, chinoises, pour situer Marco, homme de notre temps par son ouverture d’esprit, son scepticisme, dans le sien, ce XIIIe siècle de la Venise du secret, des « confidenti » et des masques, de cette Chine où les barbares mongols allaient découvrir la plus ancienne, la plus brillante de toutes les civilisations d’alors. Quand les sources lui faisaient défaut, il a laissé la bride à son imagination, en se souvenant cependant des « choses étranges » que lui-même avait connues dans les pays que Marco avait traversés. Le résultat est éblouissant. Qui n’a, entre 15 et 20 ans, rêvé d’être Marco Polo ? Qui n’a voulu être un de ces personnages, dont Balzac disait qu’ils sont partout chez eux comme seuls savent l’être les filles, les rois et les voleurs ? Grâce à Jean Lartéguy, nous voilà restituée cette part d’aventure et d’imaginaire, sans laquelle on peut certes vivre, mais si médiocrement !