Si de nombreux exemples existent dans l’Ancien Régime de femmes d’affaires assurant provisoirement la succession de leur mari à la tête d’une entreprise familiale, le temps de préparer le fils aîné à reprendre les rênes du pouvoir, on est dans un tout autre cas de figure avec Marie-Anne Simonis, épouse Biolley, puisque c’est du vivant de son époux que cette Verviétoise atteignant la quarantaine est amenée à prendre la direction de l’entreprise familiale au milieu des années 1790, pour développer ensuite celle-ci durant trente-cinq années. Or la firme textile Biolley, créée en 1724 par des Français immigrés de Savoie, est une des plus importantes de la place et donne du travail à des centaines d’ouvriers. Marie-Anne elle-même provient d’une des richissimes familles de ce milieu de marchands drapiers qui sont déjà considérés, au milieu du XVIIIe siècle, comme les meilleurs d’Europe, sillonnant avec leurs produits toutes les places commerciales du continent dans un secteur dont ils sont les seigneurs admirés et enviés. On est loin d’une petite manufacture provinciale. C’est Marie-Anne qui, avec son frère Iwan, fait venir William Cockerill pour y mécaniser la production et importer ainsi la révolution industrielle sur le continent. Elle tente l’élevage de moutons dans l’espoir d’être autonome en laines, elle essaye de se diversifier dans le coton, elle se lance dans la fabrication de machines à vapeur, elle concrétise le premier projet d’habitations ouvrières au monde pour s’attacher la main d’œuvre. Pour le petit peuple verviétois, elle est « la Grande Madame ». C’est aussi le portrait complet du Verviers de l’époque qui est détaillé au fil des étapes du destin fabuleux de cette première « capitaine d’industrie » de la future Belgique. Bien des faits nouveaux apparaissant ici reposent notamment sur de riches archives de la famille Simonis rapatriées à Verviers en 2017 par feu Yvan Simonis et sur un texte inédit de feu l’historien Pierre Lebrun consacré à l’épopée de William Cockerill et confié à l’auteur.