Le dominicain Lagrange [1855-1938], fondateur en 1890 de l'École
biblique de Jérusalem, en 1892 de la Revue biblique, en 1900 de la
collection des «Études bibliques», autant d'institutions qui poursuivent
aujourd'hui l'étude scientifique de la Bible, a connu et subi
toutes les vicissitudes de l'attitude de l'Église romaine sous quatre
pontificats. Léon XIII, conseillé par le cardinal Rampolla, fait
confiance aux débuts de l'École biblique et veut même appeler le
père Lagrange à Rome pour y fonder un enseignement scientifique.
Pie X, affronté à la crise moderniste, redoute les effets néfastes de
l'exégèse critique et ne cesse de manifester de la défiance pour les
travaux de l'École de Jérusalem, jusqu'à un blâme public décerné en
1912 par les services du cardinal De Lai. Sous Benoît XV, en dépit du
revirement par rapport à l'orientation précédente, une encyclique
[Spiritus paraclitus] désavoue Lagrange plutôt qu'elle ne l'encourage.
Au temps de Pie XI, l'embellie pour l'étude critique de la Bible ne
viendra que tout à la fin du pontificat, par les responsabilités confiées
au cardinal Tisserant. L'orientation préconisée par Lagrange ne sera
avalisée que par l'encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII en
1943.
En dépit de toutes les tracasseries qui ont marqué sa carrière,
Lagrange a continué contre vents et marées son labeur scientifique,
convaincu qu'il était du profit que le croyant devait trouver dans la
critique historique pour comprendre la Parole de Dieu. Comme
bien d'autres précurseurs en Église, il n'a connu que la peine des
semailles, tandis que la joie de la fructification n'est venue qu'après
sa mort, le 10 mars 1938. Il importe de découvrir aujourd'hui combien
il en a coûté d'acculturer dans le monde catholique la méthode
historico-critique mise au service d'une lecture théologique de la
Bible. Lagrange savait que les travaux les plus savants sont destinés à
être dépassés par des recherches plus récentes. «Mais qu'importe un
destin éphémère, écrivait-il dans la Revue biblique de 1900, si cette
parcelle d'activité inspirée par la foi et par le désir du bien n'est pas
complètement stérile. C'est surtout lorsqu'on consacre ses efforts à
la Parole de Dieu qu'on peut espérer qu'ils ne seront pas absolument
vains.» Telle a été la ligne directrice de sa vie.