Descendre le Mékong depuis le Tibet jusqu'à la mer de Chine alors que,
jadis, les premiers "explorateurs" de la future Indochine en remontaient le
cours, voilà une idée à contre-courant ! L'auteur assume ses choix : la rencontre
avec les civilisations du Sud-Est asiatique, en particulier au Laos,
l'a bouleversée, révélant chez elle des liens entre découverte de l'Autre,
philosophie et désir d'Orient. Son récit impressionniste est celui d'un
monde en déclin - ou en pleine renaissance, c'est selon. Mékong dérives
nous dit autant "de l'espoir des peuples qui en occupent les rives, de leur
dignité (...) et de cette formidable énergie qui les habite", que du regard
sensible d'un couple de voyageurs au sein duquel le "je" ne se confond
avec le "nous" que pour mieux être contredit.
Certes, il n'est guère de vérité au-delà de la mer de Chine et l'ancien fleuve
des colonies, qui a vu passer tant de terreurs et de violences depuis plusieurs
siècles, ne s'est parfois reflété dans nos Lumières que pour mieux s'y brûler.
Mais ce texte à la fois intime et universel est aussi une quête de vérité, une
invitation au voyage sur les rives d'un fleuve qui fait jaillir les contraires - les
beautés et l'horreur -, à la rencontre de l'infinie poésie de populations toujours
en lutte contre l'effacement de l'histoire.
"Du Nord au Sud, sur quatre mille deux cents kilomètres, le plus grand
fleuve d'Asie du Sud-Est évoque et reflète des silhouettes de paysans
coiffés de chapeaux coniques, des populations chaussées de tongs, des
villes encombrées de vélomoteurs, des maisons en bois sur pilotis, les
robes safran des bonzes et l'écho des gongs rebondissant sur des ciels
de mousson. (...) Le Mékong nous était apparu le douzième jour, dans
le village thaï de Chiang Khan. C'était la mousson. Ses eaux épaisses,
couleur caramel, charriaient des troncs d'arbres arrachés en amont
aux hautes terres du Tibet et de la Chine."