Je l'ai suivi. À maintes reprises. La première fois, j'avais treize ans.
Je l'ai vu à la pause de midi, sur la promenade du quai, riant au
bras d'une femme qui m'était étrangère. Il était justement en train
de montrer l'eau quand il m'a vue. Un instant, le rire s'est éteint,
il m'a toisée du regard ; mais ensuite, comme si j'avais fait preuve
de complicité, il a beaucoup ri sur quelque chose que la femme lui
a chuchoté, et il a mis son bras autour d'elle. Nous nous sommes
croisés comme des étrangers. Je me suis mise à frissonner de
l'intérieur, de la cage thoracique jusqu'aux tripes, une irruption de
l'hiver violente, intérieure, avec humidité glaciale et congélation
instantanée.
Mémoire de poisson rouge (Goldfischgedächtnis) est un recueil
composé de quinze nouvelles aux procédés narratifs originaux qui
évoluent dans un univers d'étrangeté et tournent toutes, peu ou
prou, autour de la mort.
Un écrivain à la fin de sa vie et de son oeuvre ne compose plus que
des haïkus, la plupart du temps macabres ; un couple de flambeurs
écrase un clochard après une nuit au casino ; un petit garçon qui
a perdu sa mère exige de son père qu'il se déguise en mort pour
Halloween, et manque mourir de peur bien qu'il l'ait reconnu ; après
le trépas de son amoureux et de son père, une narratrice contacte
un homme qu'elle avait souvent vu avec l'un et l'autre, dans l'espoir
qu'il se souvienne des morts... Combien de mémoire a un poisson
rouge ? Ne se rappelle-t-il vraiment que les trois dernières secondes,
et fait donc demi-tour dans son bocal, en effectuant éternellement
les mêmes mouvements, comme s'ils étaient nouveaux à chaque
fois ? Et qu'en est-il des humains ?
Souvenir et oubli sont deux processus qui dépendent l'un de l'autre
et qui jouent également un rôle dans tous ces récits. Que reste-t-il
d'une expérience, d'une personne, d'une lecture ?