Les Mémoires de Paul Claudel furent vraiment improvisés. Jean Amrouche arrivait devant les micros de la Radiodiffusion française, avec ses questions, sa documentation, préparées de longue main, son habileté - et Claudel renversait tout, sur l'instant, dans la bonhomie certes, mais aussi dans la puissance de son tempérament léonin ; Amrouche ne s'estimait pas battu, revenait, insistait, avec une obstination et une maîtrise courtoise auxquelles on ne peut que rendre hommage.
Il ne s'agit pas d'une suite d'interviews. Le mot français «entretiens» est plus conforme à l'esprit de cette longue conversation en quarante et un épisodes, au cours de laquelle Claudel, sommé de se livrer, le fait sans s'y résoudre complètement, mais apporte suffisamment de lui-même pour que cet ouvrage à peu près unique ait une très grande importance pour la connaissance, plus en profondeur qu'il n'y paraît, d'un immense auteur.
A la lecture de ces pages en grande partie nouvelles, car l'édition de 1954 comporte de trop nombreuses erreurs de transcription et d'interprétation, on ne s'étonnera pas de trouver des «barbarismes», des gaucheries (du moins qui apparaissent ainsi parce qu'elles sont imprimées) dues au langage parlé. Il n'est pas facile de s'accrocher au quasi-mot à mot. Nous n'avons pas voulu «rewriter», comme on dit en franglais, Claudel ; Platon a transmis Socrate, mais Socrate n'écrivait pas ; seul Claudel pouvait récrire Claudel ; s'il n'en a pas vu la nécessité, il ne faut pas se substituer à lui mais le laisser parler, en rapportant ses propos d'aussi près que possible.
Louis Fournier