Mercedes-Benz se présente d'abord comme une longue lettre posthume
de Pawel Huelle à son maître et ami Bohumil Hrabal. Le romancier
polonais feint de vouloir raconter ses leçons de conduite à l'écrivain
tchèque, mais, au-delà des rues embouteillées de Gdansk, le récit nous
entraîne dans les méandres sentimentaux du narrateur, fraîchement
divorcé et totalement sous le charme de sa monitrice, la ravissante
Mlle Ciwle, et ceux de son histoire familiale et de l'histoire de la Pologne.
Les rues de Gdansk évoquent ainsi les routes galiciennes sur lesquelles
la grand-mère du narrateur a appris à conduire - dans une Citroën qui
a fini sa vie sous un train - et plus largement la société polonaise
de l'entre-deux-guerres. À ces images d'un âge d'or recouvert par des
décennies de communisme s'opposent enfin les échos de la vie prosaïque
et presque misérable de Mlle Ciwle dans la Pologne contemporaine. Les
histoires semblent se multiplier à l'infini, et les récits entrelacés sont
comme suspendus par la tension érotique des conversations entre le narrateur
au volant et son adroite monitrice.
Par cette longue boucle romanesque écrite presque d'un seul tenant
mais tout en digressions, Pawel Huelle nous offre un livre qui interroge
notre rapport au passé tout comme les difficultés d'adaptation de certains
êtres délicats à la vie moderne. À travers l'évocation nostalgique
des Citroën et des Mercedes d'autrefois qui ont cédé la place à l'efficacité
des petites Fiat modernes, il nous propose aussi une métaphore surprenante
et tout en subtilité de l'histoire du vingtième siècle. Et surtout,
il nous offre un miracle de légèreté, de mélancolie et d'humour.