« S’adresser aux écrivains, c’est donc s’adresser aux grands dépositaires de l’autorité morale dans une société intelligente, à la puissance spirituelle elle-même. »...
Un grand poète disait qu’il fallait aimer la presse pour la haine qu’elle inspirait. Ajoutons qu’il faut l’aimer d’un amour sévère et qui ne la flatte pas. Les accusations, les imprécations de ses ennemis ne sont propres qu’à relever son mérite et sa puissance. Ceux qui ont encouru par elle ou avec elle les mêmes inimitiés ne chercheront pas à l’en défendre : ils auraient trop l’air de se justifier ; mais ils peuvent, avec un discernement plus sûr et une conviction plus sincère, se préoccuper des dangers que présentent les mouvements de la pensée manifestés par les écrits d’une époque, et, sans se mêler de reprocher à la presse politique des méfaits chèrement expiés, s’enquérir du bien et du mal que peut faire la littérature. Il est vrai que celle-ci provoque aussi bien des clameurs hostiles. Des censeurs peu soucieux d’éviter l’exagération et fort sujets à prendre l’effet pour la cause n’ont pas épargné les réprimandes à la littérature contemporaine...
Les écrivains même, et ils sont nombreux, qui de nos jours n’ont pas fait profession d’être insensibles aux intérêts nouveaux de l’humanité n’ont point tous échappé à cette ivresse de l’imagination ennuyée du réel et du possible. Quelques-uns, plus artistes que citoyens, sont tombés dans cette délicatesse superbe qui méprise comme une vile prose l’esprit des classes moyennes promu aux choses de gouvernement. Bientôt, par une bizarre association, on les a vus unir le culte exagéré de toutes les élégances et de toutes les recherches, l’affectation de ne se plaire qu’aux manières, aux passions, aux vices d’une frivole aristocratie, avec une complaisance aveugle pour les rêves de la démocratie niveleuse. Faut-il le dire ? l’esprit français me paraît avoir de notre temps acquis ce dont il manquait le plus, l’imagination...