Slawomir Mrozek se souvient : «C'était en 1955 et j'avais
vingt-cinq ans. J'habitais Cracovie et j'allais prendre mes
cours de français chez madame Rzewuska, qui était très
belle et avait les cheveux blancs. Elle parlait le français aussi
bien que le polonais, mais cela n'était d'aucune utilité pour nos
leçons, car, au lieu de m'abreuver de grammaire et de syntaxe,
elle me racontait mille anecdotes du temps jadis que j'écoutais
avec le plus grand plaisir. Plus tard, c'est au 22, rue Krupnicza,
que je me rendis chaque semaine pour remplir de dessins les
sept mètres carrés du petit cahier que voici.»
Et c'est ce qui fait tout l'intérêt de ces pages retrouvées : nulle
trace de conjugaisons ou de règles d'accords... mais plus de
1 500 dessins pour illustrer autant de mots français. Des mots
ordinaires, parfois triviaux, parfois archaïques, des mots qui
vous laissent perplexes et qui, vérification faite, sont absents
de nos dictionnaires, des mots pour le corps, les choses ou les
sentiments. Non content d'apprendre le français, Mrozek se
faisait aussi la main, il aiguisait son sens du raccourci comique,
cet art de la synthèse modeste et géniale qui allait faire de lui
l'un des plus grands satiristes de son pays.