Homère nous hante. D'autant plus qu'on ne sait rien de lui, pas
même s'il a existé.
Mais il y a ces deux textes extraordinaires, l'Iliade et l'Odyssée,
qui parlent de l'homme pour la première fois et dans lesquels j'entends
la voix singulière d'un homme. Je vois le mouvement de la
main qui trace les signes, qui efface, qui reprend...
Homère est bien l'aède qui, pour la première fois, a utilisé les
mythes et les formules de l'épopée pour dire le monde et l'homme,
ses souffrances et ses rêves. Homère a bien écrit l'Iliade et
l'Odyssée. Homère volontairement a forgé son mystère.
Pour avoir inventé la question homérique, il faut qu'Homère
ait existé.
Je suis donc partie sur ses traces. Qu'avais-je pour cela ? Ce que
disent les savants qui, sur Homère, ne savent rien mais donnent
matière à rêver. Les deux textes d'Homère : toutes les comparaisons
de l'Iliade qui sont des choses vues, toutes les scènes domestiques
de l'Odyssée. Les paysages de l'Ionie où je me suis
promenée... Smyrne, la plaine de Troie, la plage, les murs de la
citadelle, les temples de Claros, de Chrysè, la lumière, qui est celle
de l'Iliade.
La voix des savants, les poèmes, l'Ionie... Assez pour retrouver
le regard d'un enfant, son émotion en entendant les aèdes de
passage, l'envie de chanter à son tour et de dire autre chose, les
succès dans les cours royales, le besoin de disparaître. Et puis, au
fil de l'écriture, j'ai senti que cette quête d'Homère m'entraînait au-delà,
là où sans doute il nous mène, aux origines de la création,
de l'écriture.