Norman Moonbloom est un rêveur qui n'a jamais réussi à aller au bout des choses. Après des études avortées, il se voit confier par son frère autoritaire un poste de gérant de plusieurs immeubles à New York, pour la plupart défraîchis et sur le point de s'écrouler. D'un air distrait et distant, il fait la tournée des locataires pour récolter ses précieux loyers. Mais alors que la mission semble des plus simples, il va devoir se confronter à l'intimité des autres. Et les personnages qui peuplent ces appartements sont hauts en couleur. Il y a Karloff, un Juif d'Europe centrale centenaire qui a choisi de vivre dans la crasse et de boire pour oublier. Stan Katz, le joueur de trompette blanc qui partage un appartement avec Sidone, un batteur noir homosexuel - les deux font la bringue à défaut de faire la paire. Des familles étriquées, des couples qui se disputent à coups de jets de bouteilles, des professeurs alcooliques qui récitent du T.S. Eliot en conspuant la société. Sans parler de leurs récriminations constantes : réparer ceci, réparer cela, boucher ce trou, repeindre, remplacer, vider...
Emergeant peu à peu de sa léthargie, c'est plein d'entrain et de façon frénétique qu'il va alors tenter de remettre à neuf ces immeubles et de rafistoler ces êtres bosselés, et prendre du même coup conscience de sa propre existence. Edward Lewis Wallant nous entraîne avec Moonbloom au coeur d'un microcosme grouillant de vies qui, à la façon d'un Georges Perec dans La Vie mode d'emploi, dresse un tableau de la comédie humaine drôle et émouvant.
Quelqu'un avait gravé dans l'enduit du mur le mot « Empereurs » à côté d'un vieux dessin déjà couleur de rouille représentant les parties génitales de l'homme et de la femme. Avec un soupir, il leva les yeux vers le plafond de la cabine. De partout, les bruits de la vie de l'immeuble lui parvenaient atténués, comme lorsqu'on observe des choses qui bougent sous la glace nouvellement formée. « Le loyer, dit-il sans aucune intonation particulière quand le jeune homme à l'air anémique ouvrit la porte.
- Ah ouais, une minute, lui répondit Lester en le faisant à moitié entrer tandis qu'il remettait en place les crans de sa frange. Tante Min, c'est le loyer, lança-t-il par-dessus son épaule.
- Toujours quand je suis occupée, grommela Minna ; son visage poupin était marbré et paraissait tout mou sous la poudre et le maquillage. Entrez, entrez. Asseyez-vous. Va falloir que j'aille chercher le... » Elle emporta le reste de sa phrase avec elle dans la chambre à coucher tandis que sa soeur Eva sortait de la cuisine, un torchon à la main.