«Mais il sait aussi que si ce pauvre corps maternel
secoué de tant de spectres et où résonnent tant de voix
célestes et d'outre-tombe, si ce pauvre corps agonisant
maintenant vidé de son venin peut ainsi se blottir contre sa
poitrine sans dommages, il sait aussi, au détour furtif de son
propre reflet dans la glace ou de son visage saisi au vif sur
une photographie, il sait reconnaître les traits et les expressions
de sa mère dont la vitalité intacte est à présent en lui,
irriguant ses propres tissus, oui, sa mère se tient à présent en
lui plus que dans ses bras, elle l'habite tel un alien dont la
présence s'avoue parfois, si fulgurante, si éruptive qu'il se
surprend alors, traversé de peur panique, d'être sa mère
devenu. Sa mère qui se recompose comme l'horizon de sa
finitude et de son destin, tu as vu ? on dirait ta mère...
l'échappée lui semble impossible, sa mère dessine comme
l'accomplissement de sa propre mort. Sa mère l'attend, sa
mort l'attend, il glisse sur la pente, il dévisse, se débat, il
voudrait redessiner son visage, l'injecter de botox, le taire
dans l'immobilité minérale d'un sable que la mer lisse, non,
que l'océan annule, mais les yeux demeurent, les yeux et le
regard, à l'identique.»